La mesure du succès
L'autre jour, une promenade sur Instagram a mis sur mon chemin un prix, dédié aux livres autoédités. L'ampleur du succès des livres mis en avant m'a interpellé, car elle n'utilisait qu'une seule métrique... le nombre de ventes.
Il y a un peu plus de deux semaines, je vous évoquais mon passage en librairie pour une discussion et une séance de dédicaces. Cet évènement a été l'occasion d'une belle rencontre entre passionné(e)s, en particulier avec le libraire, qui m'a proposé d'accueillir dans son établissement les livres que j'édite moi-même. Je vous écris donc entouré de piles de livres en devenir et de colle qui sèche, de corps d'ouvrage sous presse et d'une imprimante qui tourne en continu. Je vous écris surtout heureux de ce que j'estime être un jalon, quelque chose que l'on pourrait appeler une forme de « succès ».
J'ai déjà parlé de la réussite et des échecs, et de la relativité de ces notions. Mais dans le domaine de l'autoédition (voire de l'édition tout court), cette relativité prend une ampleur particulière.
L'autre jour, une promenade sur Instagram a mis sur mon chemin un prix, dédié aux livres autoédités. L'ampleur du succès des livres mis en avant m'a interpellé, car elle n'utilisait qu'une seule métrique : le nombre de ventes.
Je ne prétendrai certainement pas que le nombre de ventes n'a aucune importance. Bien évidemment, ce nombre mesure une forme de succès. Cependant, je pense que de limiter l'évaluation du succès à cette seule variable est une erreur, pour deux raisons.
L'erreur à variable unique
D'abord, le succès en nombre de ventes a beau être une variable quantitative, cela reste une notion relative. Combien vendrai-je de livres en les déposant en librairie ? Une dizaine, peut-être ? Malgré ça, à l'échelle d'un recueil de nouvelles écrites semaine après semaine, publié en toute indépendance et fabriqué à la main, cette dizaine d'exemplaires aura énormément d'importance, et sera le signe d'un véritable succès personnel. De nos jours, les livres de science-fiction se vendent en moyenne à quelques centaines d'exemplaires. Que dire alors de la cinquantaine de livres L'humain outresolaire en affiches, que j'ai imprimés en risographie et vendus totalement seul ?
L'idée n'est évidemment pas ici l'autocongratulation, ou d'aborder n'importe quelle réalité sous un angle qui la rendrait favorable. Ce que je cherche à faire, c'est de sortir la tête des chiffres de vente, non pas pour nier leur importance, mais pour les accompagner d'autres aspects de la réalité. Des aspects que les ventes ne mesurent pas.
Le problème philosophique
L'autre problème des chiffres de vente en autoédition est la philosophie à laquelle appartient cette métrique, en un mot, celle d'Amazon.
Amazon associe en réalité plusieurs indices sous le même chapeau : le nombre de ventes et les évaluations des lecteurs, au moins. Deux variables qui permettent de se mesurer aux autres continuellement, en particulier dans la course à l'accès au fameux « top 100 ». Le problème de cette culture est multiple.
La déprime
Premièrement, pour peu qu'un auteur ou une autrice ne soit pas en accord avec cette vision des choses, elle peut devenir déprimante (vous avez forcément croisé des écrivains dépités face à une mauvaise note de leur livre sur cette plateforme).
Une vision limitante
Deuxièmement, elle constitue une vision limitante du succès, comme je l'expliquais plus haut.
Une baisse de la diversité
Troisièmement, elle incite les gens à produire des livres qui se ressemblent. En effet, si le succès se mesure uniquement aux ventes, alors il faut créer des livres qui ressemblent à ceux qui se vendent le plus… et de proche en proche, on aboutit à une uniformisation de la culture.
Cet aspect du problème est capital (oui, j'ai fait exprès), car quand bien même quelqu'un se trouverait en accord avec la philosophie d'Amazon sur la mesure du succès par les ventes, cette personne pourrait rester sensible au problème de l'uniformisation de l'offre.
Alors, que faire ?
La première chose à faire pour soi, me semble-t-il, est de se questionner sur ses envies. En particulier, dans le cas de l'édition : que souhaite-t-on pour son livre ? Sur quels critères allons-nous évaluer son succès ? Parfois, le succès, c'est simplement de terminer l'écriture de son histoire. Une autre fois, c'est de le publier au moment opportun de sa vie, quel que soit le moyen. Et oui, parfois, c'est de marquer le genre de son empreinte (faites-moi un clin d’œil dans votre discours en recevant le grand prix de l'imaginaire).
La seconde, plus spécifique, est de se réconcilier avec l'idée que l'autoédition ne se limite pas à celle promue par les plateformes dédiées. Si leur mode de fonctionnement vous convient, c'est tant mieux. J'imagine aisément que l'on peut ressentir une stimulation positive dans la récupération des chiffres de vente, la réception de commentaires, et l'entrée dans le top 100. Mais si les valeurs qu'elles promeuvent ne vous conviennent pas, explorez d'autres options : contactez des imprimeurs, fabriquez vos livres, contactez des maisons d'édition qui respectent vos valeurs… Tout est possible.
La vision de l'autoédition en opposition à l'édition traditionnelle est, en elle-même, limitante. Je pense aujourd'hui que nos explorations doivent aussi traverser cette frontière.
Il ne tient qu'à nous de fixer nos critères.