Le contraste dans l'oubli

Le contraste dans l'oubli

L’autre jour, je suis rentré du labo avec une pellicule complètement vierge. Pas une seule photo ne s’était prise.

« Vous voulez garder le film ? » m’a-t-on demandé derrière le comptoir.

J’ai dit oui.

Je l’ai là, sur mon bureau, ce long ruban de plastique transparent qui aurait dû immortaliser certains moments et qui n’aura finalement rien immortalisé du tout. J’essaie de repenser à ces moments. Plus attentif aux photos que je prends en argentique, je sais qu’eux, ces moments, vivront encore dans mon esprit un petit temps, pour ceux dont je me souviens. Par contre, j’ai perdu la géométrie des autres, le jeu des lumières et des contrastes, les lignes directrices que j’avais tenté de capturer.

J’ai gardé le film comme une leçon, mais une leçon de quoi ?

Leçon numéro 1 : Manifestement : « Il faut vraiment que j’apprenne à charger correctement la pellicule dans mon appareil ».

Leçon numéro 2 : « Il faut vivre le moment présent », sans doute. Aucune photo ne le remplacera.

Leçon numéro 3 : « Il faut accepter de se planter, parfois, quand on fait de l’art », ou quelque chose comme ça.

Quand on écrit aussi, parfois, il faut accepter de se planter. Pour les plus gros vendeurs de livres, cela peut vouloir dire devoir apprendre à vivre avec un mauvais roman, à qui personne n’a eu le courage de dire non. Pour le commun des mortels, il faut plutôt arriver à accepter que notre texte a pris une mauvaise direction et revenir en arrière, reculer, effacer… ou réécrire.

Bien sûr, il y a les plans, me direz-vous, mais même au stade du plan, on peut se sentir obligé de revenir en arrière. On peut aussi se sentir obligé de modifier le texte et le plan quand les choses ne fonctionnent pas comme on voudrait.

Ce qu’il faut accepter, c’est que recommencer fait partie du processus. On a cette chance-là, en écriture. Contrairement à la photo, on peut choisir de tout reprendre depuis le début. Le piège, le revers de la médaille, c’est qu’il faut que nous décidions nous-mêmes du juste moment pour nous arrêter.

Et si je relisais encore une fois ?

Et si je modifiais ce passage, juste encore un peu ?

Et si…

Leçon numéro 4 : « Parfois, il faut accepter de vivre avec l’imperfection, et passer à autre chose ».

J’ai remis une pellicule dans mon appareil, il me reste deux poses avant le développement. Vous me souhaitez bonne chance ?

Interview

J'ai été invité par mon ami Winny Taniguchi à participer au podcast "Les voix des livres". Vous pouvez écouter cette interview ici et sur votre plateforme d'écoute préférée.