Derrière le soleil

Derrière le soleil
Photo by Jongsun Lee / Unsplash

Derrière le soleil

Intégralement imprimé en risographie, produit en série limitée et numérotée, L'humain outresolaire en affiches a connu de beaux jours à sa sortie, en 2021, et lors de sa réimpression en 2022.

Le projet a intrigué, et intrigue encore lorsque j'en parle autour de moi. Hélas, depuis l'année dernière, les affiches sont encore disponibles mais le livre est épuisé.

Une petite mais magnifique victoire
Quelques exemplaires de L'humain outresolaire

Le paradoxe du libre limité

Un livre demandé mais épuisé, c'est dommage, me direz-vous… Mais résoudre le problème n'est pas si simple.

D'une part, imprimer tout un livre en risographie représente des contraintes importantes, suffisamment pour ne pas envisager facilement un nouveau tirage. En effet, cette technique impose de constituer, pour un livre, un certain nombre de fragments successifs. La maquette originale de L'humain outresolaire comporte ainsi 28 fichiers pdf différents.

D'autre part, j'ai évidemment tenu à respecter le « contrat tacite » d'une édition numérotée et limitée, à savoir... une limitation du nombre d'exemplaires.

Je n'ai toujours pas résolu ce paradoxe du « libre limité ». Comme mes nouvelles, L'humain outresolaire est publié sous licence Art Libre, qui permet aux lecteurs et aux lectrices une grande liberté d'appropriation et de création au départ de mes œuvres. Pour faire simple, à peu près tout est possible : il s'agit d'un véritable encouragement à la création. La seule grande contrainte est de devoir publier l’œuvre dérivée sous la même licence, elle aussi. On propage le partage, en quelque sorte. Malheureusement, en limitant le nombre d'exemplaires disponibles pour une œuvre donnée, j'en réduis le potentiel de partage, et vais en quelque sorte à l'encontre de cette idée de propagation. Et pour aller encore plus loin, l'art libre étant l'héritier de l'open source en informatique, ne pas donner accès aux sources (donc au texte brut) pourrait constituer une sorte de paradoxe.

La piste du livre d'artiste

Pour se dépêtrer de ce questionnement, il faut se poser une nouvelle question (je sais, j'exagère) et pas des moindres : qu'est-ce qu'un livre ?

S'il existe probablement autant de réponses à cette question que de personnes impliquées dans la création ou l'écriture de livres, j'ai été particulièrement frappé par celle d'Alexandre Chaize, des Éditions du livre :

Pour moi, le livre n'est pas un médium de reproduction, mais l’œuvre en elle-même.
[Books. Art, Craft, Community. London Center for Books Art, 2021]

Ici, on pourrait trouver une bonne définition du livre d'artiste : celle d'un livre vu comme une œuvre en soi, plutôt que comme le support d'une œuvre, qui serait l'histoire. Elle met donc en lumière la possibilité d'une considération duale : le livre en tant qu'objet, et le livre en tant qu'histoire.

Dans le cadre de notre préoccupation du libre limité, cette séparation a toute son importance. Que place-t-on sous licence libre ? L'objet livre, avec ses matériaux, sa mise en page, son design graphique, sa reliure ? Si ces aspects peuvent relever d'une pratique artistique, alors la question se pose. Ou bien est-ce l'histoire, comme on l'entendrait peut-être plus facilement ?

Résoudre le paradoxe

Au bout du compte, je pense que la limitation d'une œuvre dans un nombre défini d'exemplaires ne s'oppose pas vraiment à l'idée d'un art libre.

Au-delà de la finitude du support physique subsistent en effet deux réalités. La première, c'est la possibilité du prêt, de la recommandation, du don ou de la revente. Rien n'empêchera un objet livre de circuler, pas même sa limitation à un petit nombre d'exemplaires. La seconde, c'est l'immatérialité de l'histoire. Elle, partagée, ne quitte pas son premier porteur et se répand sans s'estomper. Elle peut faire l'objet d'une véritable dérivation et devenir une œuvre nouvelle, sur le terrain d'un art libre. Aussi, dans cette adaptation d'idées, la dérivation n'a pas besoin des fichiers sources pour naître : on n'a pas besoin du texte brut d'origine pour écrire la suite d'une histoire, contrairement à ce qu'impliquerait une dérivation dans le monde informatique.

Résoudre le paradoxe, c'est donc peut-être et avant tout mieux définir les contours de ce que l'on considère comme partageable, en commençant par mieux définir ce que l'on appelle un livre.

L'édition permanente

Reste un point d'accroche : celui de l'arrêt d'une production pour une œuvre que l'on voudrait encore voir se répandre.

Je suis toujours en quête d'une manière de produire des livres qui permette à la fois une fabrication manuelle et un temps de production raisonnable. En suivant l'une de ces pistes, j'aimerais me lancer dans ce que j'appellerais une édition permanente. Le premier livre à connaître ce mode de fonctionnement sera – vous l'avez deviné – L'humain outresolaire.

En parallèle de l'édition collector, il existera donc une réédition de L'humain outresolaire : plus simple dans sa composition (pas de numérotation, pas de jaquette transparente). Le livre sera imprimé par jets d'encre, en couleurs, mais pas en risographie, à l'exception de la couverture, qui elle sera bien risographiée. Le tout présentera, comme son grand frère un dos carré collé (à la main !) et sera disponible cet été sur saidwords.org à un prix abordable.

Rien ne remplacera donc l'édition initiale, dont la jaquette transparente permettait d'inclure le livre en tant que tel dans l'histoire racontée. Mais les affiches produites et leur récit cadre pourront tout de même continuer à exister !

Le livre sera disponible cet été.

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Surprise sous le massicot

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