Résoverdose
Nous sommes nombreuses et nombreux à entretenir une relation conflictuelle avec les réseaux sociaux. Pourtant, nous y restons. Pourquoi ? et surtout : Comment ?
Résoverdose
Nous sommes nombreuses et nombreux à entretenir une relation conflictuelle avec les réseaux sociaux. Pourtant, nous y restons. Pourquoi ? et surtout : Comment ?
Notre trace dans l'esprit des gens
Dans la mythique opposition entre autoédition et compte d'éditeur, on aime souvent rappeler que les auteurs et autrices publiés de manière traditionnelle peuvent se concentrer sur la pratique de l'écriture, là où les autoédité(e)s doivent nécessairement passer du temps à faire la promotion de leurs livres (et on insiste un peu lourdement sur la bassesse que représente cette activité de « promotion »).
Les choses ne sont pourtant pas si simples. Sur base d'une initiative personnelle, voire à la demande de leur éditeur, des auteurs et autrices publiés en maison sont nombreux à créer un site personnel ou ouvrir des comptes de réseaux sociaux pour parler de leurs livres. Certes, ces initiatives peuvent voir leur visibilité amplifiée par la maison d'édition et ses comptes, mais un catalogue peut contenir de nombreux livres, et cette promotion peut donc avoir tendance à se diluer dans la masse. Côté autoédition, les choix de mise en avant sur les plateformes dédiées répondent à des règles obscures. Pour les initiatives micro/indé, un salon, une rencontre, ou la force de communication d'un collectif peuvent faire la promotion d'un livre…
Au final, il me semble que s'il existe une grande variabilité dans la mise en avant de nos ouvrages, elle dépende de nombreux facteurs, d'initiatives, de choix, de coups de chance… mais pas systématiquement du mode d'édition choisi.
Face à ce constat, et au vu du nombre important et grandissant de livres qui naissent chaque jour, la création de comptes sur les réseaux sociaux apparaît donc aux yeux de beaucoup comme une étape indispensable, pour se présenter au public et pour donner envie de lire nos livres. En somme, pour laisser une marque dans l'esprit des gens. Devenir auteur, autrice, c'est créer une marque.
Si vous trouvez le terme trop commercial, cela risque d'empirer, car – préparez-vous psychologiquement, ça n'arrivera qu'une fois – je m'apprête à citer Jeff Bezos. Une marque serait selon le Lex Luthor de la vraie vie, même s'il est impossible de retrouver la source de cette information, « ce que les gens disent de vous quand vous n'êtes pas dans la pièce ». La métaphore est intéressante. Imaginez qu'une « marque », c'est donc une « trace » : la trace qu'on laisse dans l'esprit des gens.
À quoi pensent-ils, les gens, quand on leur parle de nous, en tant qu'écrivain ? À quelles valeurs nous associent-ils ? Arrive-t-on à leur transmettre ce que nous souhaitons ? Leur laisse-t-on la bonne trace dans l'esprit ?
Pour transmettre au public ce que l'on souhaite, il y a nos livres, bien sûr. Mais lire un livre est un acte extrêmement engageant, gourmand en un temps qui aurait pu servir à mille autres choses. Aussi, dans un grand nombre de cas, la lecture de notre livre sera une finalité accomplie par quelqu'un dont nous aurons attisé la curiosité autrement : lors d'une rencontre, d'une table ronde, d'une interview, d'un podcast… ou d'un post de réseau social. Sans compter que parfois, ces différents canaux s'alimentent les uns les autres : on obtient une interview grâce à un post de réseau social, une rencontre grâce à une interview, etc.
Laisser notre trace se construit ainsi, au fil du temps, en complétant nos livres de cette identité qui se définit peu à peu, au gré des interventions et des publications.
Notre trace dans la jungle
Dans cette idée de construction d'une image de soi, les réseaux sociaux semblent difficilement dispensables.
Pendant longtemps, il a été admis qu'il fallait adapter son contenu à chaque réseau : le texte court pour Twitter, le plus long pour Facebook, les photos pour Instagram… Aujourd'hui, c'est plus compliqué que ça. La gestion de réseaux sociaux est devenue un métier. Les algorithmes de recommandation et de mise en avant ont évolué. Place à la vidéo plutôt qu'à la photo sur Instagram, à l'invisibilité sur Facebook à moins de payer, à la viralité la plus virulente sur Twitter. Pour des raisons parfois arbitraires, certaines règles changent, ou certains comptes sont supprimés. De nouveaux réseaux apparaissent, des achats et reventes laissent penser que d'autres disparaîtront.
Alors comment faire, dans cette jungle ?
Régulièrement, je me convainc de faire un maximum d'efforts pour publier sur les réseaux. Le côté positif, c'est qu'en voulant faire les choses bien, même en les formatant pour correspondre aux standards d'une plateforme, l'acte devient créatif plus que promotionnel. Je sors le trépied, l'appareil photo (qui n'est jamais loin) et je prépare des vidéos, des photos. J'utilise un planning de publications et prépare les posts à l'avance, un tous les x jours.
Astuces : pour planifier vos publications sur Twitter, utilisez Tweetdeck. Pour planifier vos publication et stories Instagram et Facebook, utilisez Facebook Business.
Après un certain nombre de jours ou de semaines, le résultat tombe : rien ne change. Pas plus d'inscrits à ma newsletter, pas de ventes, pas de nouveaux abonnés… ou si peu.
Quand la déception ne vient pas du sentiment d'avoir fait beaucoup d'efforts pour pas grand chose, un scandale ou l'autre éclate, ou une décision délirante survient pour me rappeler que je publie du contenu par l'intermédiaire de géants américains peu scrupuleux. Alors j'en rajoute une couche : je rétablis un compte Mastodon, un compte Pixelfed, des réseaux décentralisés dédiés respectivement au microblogging et à la photographie. À l'extrême opposé, prenant le train en marche, j'ouvre un compte TikTok, et je me fais alors rattraper par d'autres cas de conscience, chinois cette fois, liés au respect de la vie privée et au constat de mon propre temps improprement passé sur cette plateforme, pour rien.
Une jungle, vous dis-je.
Pour m'en tirer, j'essaie de m'organiser. Le point névralgique de ma communication est hors réseaux, c'est cette newsletter. Elle concentre ce que je veux vous dire de plus important et personnel, et fonctionne grâce à un logiciel payant mais Open Source et respectueux de votre vie privée, Ghost. Il y a bien sûr, en plus, et de façon permanente, mon site internet.
Dans la mesure du possible, ce que j'écris pour la newsletter est utilisé (découpé, modifié...) pour servir de publications diverses sur les réseaux sociaux. Parfois, c'est le contraire : je « déploie » quelques publications intéressantes des trois dernières semaines pour en parler plus longuement dans la newsletter.
Ensuite, je « cross-post » : certains tweets partent sur Mastodon, ou l'inverse. Les vidéos courtes sont publiées conjointement sur Instagram et Tiktok, les publications Instagram sont aussi des publications Facebook… J'ai découpé ma dernière conférence pour la republier sur ces réseaux… mais quand est-ce que j'écris, exactement ?
Quand c'est trop
Quand est-ce que j'écris, exactement ? cette dernière phrase, tout est dit. L'effort que me demande cette organisation, même bien rôdée, ne produit pas les résultats espérés. Et comme tout le fonctionnement de ces réseaux est construit de façon à nous inciter à beaucoup (trop) nous intéresser aux statistiques et à l'idée de croissance, je tombe dans le piège, je l'avoue. Quand je pense à mon écriture, qui avance si peu, ou à cette précieuse newsletter, que je tarde à envoyer, je fais une résoverdose. J'arrête pratiquement toute publication pendant un temps indéterminé.
Vous aurez peut-être remarqué que je n'ai pas parlé du contenu que l'on trouve sur les réseaux en eux-mêmes, et qui peut parfois être lui même offensant, ou déprimant. C'est sans doute parce que depuis un certain temps, j'ai essayé de faire le choix de ne pas m'attacher émotionnellement à ce que je lis ou dis sur les réseaux. Plusieurs fois, rencontrer des gens dans la fameuse « vraie vie » m'a démontré à quel point ce que j'avais lu de leurs publications, et qui semblait pourtant refléter leur opinion, était loin de la réalité. J'ai toujours été positivement surpris. Globalement, sans doute, ce détachement aide à renforcer ce ras-le-bol, que je ressens périodiquement.
Alors que faire ? Mon camarade Ploum dirait sans doute, avec ce ton dont il a le secret, qu'il faut abandonner les réseaux, tout simplement (ou tout sauf simplement). Mais ce n'est pas si simple (là, j'ai fait exprès). Comme je vous le disais, j'aime créer, et contribuer à la constitution de mon identité en ligne, à la délimitation de cette trace, me plaît fondamentalement. C'est parce que j'aime créer que j'avais aussi lancé un podcast, pour lequel l'écriture s'avère complexe. C'est pour cela aussi que j'aimerais streamer, depuis un moment… mais par peur de me rajouter encore un fardeau, je n'ai pas encore osé.
Réfléchir à notre propre organisation, à l'utilisation de notre temps et à la réutilisabilité des contenus me semblent de bons premiers pas, si nous ne voulons pas devenir dingues. Peut-être faut-il aussi essayer des choses, et accepter de les abandonner si elles ne fonctionnent pas comme prévu. Peut-être faut-il bloquer dans nos habitudes des créneaux dédiés à notre cœur de métier, à notre acte de création premier. Peut-être pour la constitution de posts ou de leur illustration, l'IA pourra nous aider ?
Il y a des pistes à explorer, des équilibres à trouver. Les choses évolueront sans doute dans les prochains mois, comme cela n'a pas arrêté d'être le cas pour moi depuis le début. Je partagerai bien sûr avec vous la suite de ces réflexions.
Je serais aussi curieux de savoir comment vous trouvez l'équilibre dans l'utilisation des réseaux sociaux, comment vous la combinez avec votre activité créative. N'hésitez pas à m'envoyer un message, ici… ou sur les réseaux 😉